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robert frank

samedi 13 février 2010

CANDY MOUNTAIN



" Robert Frank est peu connu des cinéphiles car, cofondateur avec Shirley Clarke, Gregory Markopoulos et Peter Bogdanovich, dans les années soixante à New York, du New American Cinéma Movement, il n'a tourné jusqu'à présent que des films assimilés à l'Underground (...) Et pourtant, ce Zurichois exilé jouit d'une renommée internationale pour s'être affirmé dans les années»cinquante comme l'un des plus grands photographes de cette deuxième moitié du siècle.


Il possède une communauté de regard avec Walker Evans, l'un des plus grands photographes américains de tous les temps, dont les clichés pris durant la grande Dépression à la demande de l'administration Roosevelt pour témoigner de la terrible misère qui régnait alors dans le pays demeurent inoubliables à leurs spectateurs. Comme Walker Evans, Robert Frank a une manière de saisir l'essence d'une condition à travers une attitude ou la seule expression du visage. Mais, autant Walker Evans traque impitoyablement la réalité telle qu'en elle-même, dans son expression la plus crue, autant Robert Frank met en lumière, révèle, l'insolite que contient cette réalité ou qui est créée par elle.

Candy Mountain est né du désir qu'il avait de travailler sur un projet plus ambitieux qu'à l'ordinaire avec son ami Rudy Wurlitzer. Cet excellent scénariste est bien connu des cinéphiles pour avoir signé le scénario d'une demi-douzaine de films dont ceux de trois œuvres originales tournées par trois cinéastes réfractaires au système : Glen and Randa de Jim McBride, Two-Lane Blacktop (Macadam à deux voies) de Monte Hellman et Pat Garrett and Billy the Kid (Pat Garrett et Billy le Kid) de Sam Peckinpah. Dans ce dernier film, il tenait un tout petit rôle, celui de Tom O'Folliard, compagnon du Kid tombant juste après le générique sous les balles des hommes de Garrett. Ces trois films relataient une odyssée liée à un désir de fuite en avant dont le but (respectivement une ville mythique, l'arrivée à New York en vainqueur d'une course automobile clandestine, l'exil au Mexique) se dérobait au point que le sens originel du voyage entrepris, s'épuisant au fil des étapes et des rencontres, se dissolvait dans le néant.

De fait, Candy Mountain témoigne en permanence de sa double paternité. Il est non seulement imprégné des personnalités, complémentaires, de ses deux pères, mais on y décèle aussi les influences que l'un et l'autre ont subies. Il s'agit du récit d'un voyage relevant du « Road Mo vie » qui s'apparente à la fois au périple vagabond à la Jack Kerouac, à l'itinéraire initiatique et à l'« odyssée lamentable » à l'italienne. Mais, les rencontres insolites et cocasses que fait le protagoniste en cours de route ainsi que la mobilité et l'instabilité de son but le transforment en un parcours qui tient tout à la fois de la chasse au trésor, du jeu de piste et du jeu de l'oie. Il en résulte une certaine ironie quelque peu distante encore accusée par le traitement de l'image qui, quoique en couleurs, est « dessinée » comme si elle était en noir et blanc, rendant ainsi encore plus glacials les paysages hivernaux battus par les vents que traverse le protagoniste.


A travers lui, sorte de Candide égaré dans les contrées mouvantes de la « Frontier », c'est un regard lucide, voire caustique, qui est porté sur les réalités et les illusions d'une Amérique pour laquelle le rêve semble bien fini et qui apparaît en proie à une schizophrénie incurable. La narration elle-même adopte une structure fragmentée, une dramaturgie séquentielle dont les segments ont pour liens, d'une part, le protagoniste — musicien raté parti à la recherche d'un génial luthier créateur d'un Stradivarius de la guitare électrique — et, d'autre part, la musique. De cette musique, légitimée par le sujet, il est tracé un panorama de quelques-unes des meilleures tendances actuelles outre-Atlantique qui participe lui aussi de cette fragmentation schizoïde."

Alain Garel, La Revue du cinéma

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